Sauvons les Parcs Nationaux du Katanga date : 16/07/1999 |
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par le Professeur J.-J. Symoens (V.U.B.)
Au moment où le nombre des habitants du Congo augmente rapidement, il est inévitable que, pour satisfaire les besoins d'une population toujours plus nombreuse, la demande de terres s'accroisse, que les champs et les villes s'étendent, que de nouveaux chemins soient tracés, les forêts exploitées, la chasse et l'élevage intensifiés. Ceci veut dire qu'en même temps, les espaces naturels, forêts, savanes, marais, tous habitats des plantes et animaux sauvages sont progressivement grignotés, morcelés et parfois irrémédiablement détruits. Cette régression des espaces naturels tant en surface qu'en qualité, menace les ressources dont dépend toute vie.
Il convient donc que les espaces naturels soient préservés de ces dégradations, voire restaurés par des mesures de conservation et d'aménagement adéquates. Le maintien des forêts évite la dénudation des sols, leur érosion et leur dégradation ; il favorise ainsi l'infiltration des eaux de pluie qui alimentent les nappes phréatiques. Les zones humides, étangs et marais, régularisent le débit des cours d'eau, se gonflant comme des éponges en période de pluie pour restituer plus tard les eaux accumulées ; elles empêchent ainsi autant l'assèchement des rivières que les inondations catastrophiques. Les aires de nature sont des sites de récréation et de tourisme ; elles contribuent ainsi à l'économie et à l'emploi des populations locales.
Quant à la conservation aussi large que possible des espèces végétales et animales, elle s'impose au double titre des multiples ressources reconnues et potentielles, qu'elles constituent. Un exemple, ancien déjà. Lorsque fut entreprise, à la fin du 19ème siècle l'exploration botanique, autrement dit l'inventaire scientifique de la diversité végétale du Congo, une des plus mémorables récoltes qu'y fit le professeur Emile Laurent fut un caféier sauvage, décrit en 1900 sous le nom de Coffea laurentii,mais déjà connu du Gabon sous le nom de Coffea canephora. Cette espèce allait bientôt connaître une grande notoriété, car, diffusée par une firme horticole sous le nom de « Robusta ª, elle prit promptement, grâce à sa robustesse et sa résistance aux maladies, une grande extension, en Indonésie d'abord où elle sauva de la ruine les plantations de café ravagées par le champignon Hemeileia vastatrix. La même espèce, cultivée dans les régions basses d'Afrique, notamment au Congo, y fut une grande source de profit.
Plus récemment, le caféier « Robusta » croisé avec Coffea arabica, a donné un hybride, « l'Arabusta », combinant la rusticité du « Robusta » avec la saveur plus appréciée de l' « Arabica ». De nombreux croisements ont ainsi été réalisés entre plantes cultivées et plantes sauvages et les programmes d'amélioration reposent maintenant en bonne partie sur l'utilisation de ces dernières pour la création de nouvelles variétés qui présentent souvent des caractères de rusticité ou de résistance aux maladies que n'ont pas toujours certaines variétés sélectionnées uniquement pour un haut rendement seulement obtenu dans des conditions de culture idéales. Assurément l'homme s'est privé de ressources inédites en dévastant des habitats où se trouvaient des formes à jamais perdues.
Certaines personnes, insuffisamment informées, mettent parfois en doute l'utilité des mesures de protection de la nature et me diront peut-être : « Oui, conservons les plantes susceptibles d'une utilité alimentaire, médicinale ou industrielle, mais faut-il conserver les mouches, les moisissures, les microbes ? ». Je leur répondrai par des exemples. C'est l'étude des caractères héréditaires chez une petite mouche, la drosophile, puis chez une bactérie, le colibacille, qui a permis de comprendre le mécanisme de l'hérédité, le rôle des chromosomes, la nature des gènes et celle de leurs mutations, y compris nos maladies d'ordre génétique. C'est la contamination fortuite d'une culture bactérienne par une moisissure qui a conduit le savant britannique Fleming à la découverte de la pénicilline et, par la suite, d'autres antibiotiques ont été produits à partir d'espèces diverses de moisissures des sols tropicaux. De même, l'étude du mécanisme d'action des toxines des batraciens peut apporter des informations utiles pour la production de nouveaux médicaments en vue du traitement d'affections neurologiques, comme la maladie d'Alzheimer ; or certaines de ces espèces de batraciens sont aujourd'hui menacées d'extinction par la destruction de leur habitat forestier. Même l'étude des produits d'origine marine, en pleine expansion, a permis de découvrir des anticancéreux.
La nature nous apparaît ainsi comme un héritage riche de ressources de toutes sortes que chaque pays a le devoir de conserver pour son peuple, mais aussi pour ses enfants et leurs descendants. Tel est le but de la création des parcs nationaux, vastes aires où la nature est protégée, à l'abri des actions humaines, mais dont l'accès peut néanmoins être autorisé à ceux qui viennent la contempler et l'étudier, voire s'y récréer, tout en la respectant. A l'abri des exploitations, les forêts y assurent aussi la protection des sols. Avec les lacs et les marais, elles y garantissent la stabilité des ressources en eau. Les formations herbeuses, savanes et steppes, hébergent une faune de grands animaux, particulièrement variée en Afrique. Sa richesse et son abondance attirent les touristes désireux de l'admirer et de la photographier. Les recettes qu'engendrent le tourisme dans les parcs nationaux de l'Afrique de l'Est sont de loin supérieures à celles que rapporterait l'exploitation directe de leur faune en tant que gibier. Enfin, les parcs nationaux sont source de connaissance : ils constituent en quelque sorte un sanctuaire d'archives de documentation et d'étude de l'évolution des milieux naturels. Leur visite constitue pour les jeunes une des formes les plus enrichissantes d'enseignement et d'éveil au monde vivant.»
En fait, la première réserve connue dans un esprit de protection de la nature fut établie à l'initiative d'un groupe de peintres français qui obtinrent en 1861 que certains cantons de la forêt de Fontainebleau, appelés séries artistiques, fussent mis sous la protection de la loi et exclus de l'exploitation sylvicole, afin de conserver intacte leur beauté. Un désir semblable anima trois Américains qui, en 1870, partirent pour la région de Yellowstone en vue de vérifier les récits prodigieux que l'on faisait sur les aspects étranges de la nature et, un soir, près du feu de camp, estimèrent qu'il devait être possible de protéger et de conserver cette région « as a public park of pleasure ground for the benefit and enjoyment of people », ainsi que l'exprime la loi du 1er mars 1872, qui établissait le premier parc national des Etats-Unis. Treize ans après les U.S.A., le Canada, à son tour, constituait dans le même esprit de récréation et d'éducation, le parc national de Banff dans les Montagnes Rocheuses.
De même, c'est aux fins de conserver de façon durable le patrimoine naturel du Congo qu'y ont été créés, depuis 1929 et encore après l'indépendance du pays, des parcs nationaux, actuellement gérés par l'Institut Congolais pour la Conservation de la Nature (ICCN). Le premier fut le Parc National des Virunga, au Kivu, initialement institué pour la sauvegarde du gorille de montagne. Le Katanga possède deux parcs nationaux : le Parc National de l'Upemba, créé en 1939 et couvrant avec sa zone annexe plus d'un million d'hectares, et le Parc National des Kundelungu, créé en 1970 et atteignant avec sa zone-annexe une surface presque égale.
Chacun de ces parcs comporte trois types principaux de paysages : de hauts plateaux aux immensités herbeuses coupées de galeries forestières situant le cours supérieur des rivières ; des escarpements couverts par la forêt claire, que les rivières franchissent parfois en cascades impressionnantes ; enfin de vastes plaines, telle la dépression du Kamalondo que traverse le Lualaba, cours supérieur du fleuve Congo, où s'étendent d'immenses marais à papyrus, et la plaine de la Lufira à l'ouest du plateau des Kundelungu.
Les parcs du Katanga abritaient jadis une faune abondante, les grandes hardes d'ongulés constituant l'attrait majeur de la réserve : antilopes rouannes, élands, bubales, zèbres. Au Parc de l'Upemba, plus d'un millier de zèbres se rassemblaient chaque année, au mois de décembre, aux abords de Lusinga, tandis que les rapports du conservateur de 1961 faisaient état d'une harde de 500 élands vue près de la Bwalo (record des observations au Parc) et de nombreux troupeaux d'éléphants dans les régions lacustres et de la basse Lufira.
Par comparaison, la situation actuelle du Parc National de l'Upemba est dramatique. Le braconnage a décimé les populations d'herbivores. Le guépard et sans doute aussi l'impala ont disparu. Des villages se sont implantés illégalement dans le Parc. Le tourisme est totalement inexistant.
Aucune situation cependant n'est désespérée et la conservation de la nature est une oeuvre de longue haleine. Pour être acceptable et efficace, la gestion des parcs doit se faire dans un esprit de participation et de solidarité. Si la fermeté s'impose dans le respect des mesures de conservation, il faut aussi que les autorités locales y soient associées et qu'une part des bénéfices engendrés par le tourisme soit affectée à l'amélioration du bien-être des populations riveraines. Certes, la situation économique du Congo, aggravée par des années de guerre, ne lui a pas permis et ne lui permet pas encore de supporter comme il conviendrait les coûts nécessaires à l'entretien et à la surveillance de ses parcs. Mais l'ICCN, avec des moyens limités, tente d'en assurer la survie. Vu la place que les parcs nationaux du Katanga peuvent occuper dans le maillage des espaces naturels de l'Afrique, ces efforts doivent être encouragés et soutenus par la communauté internationale. L'association Nouvelles Approches s'y emploie. Elle mérite la collaboration et l'appui de tous.
Jean-Jacques Symoens
Professeur honoraire de l'Université de Lubumbashi
Ancien Président du Comité de direction des Parcs Nationaux du Katanga
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